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Pourquoi The New Yorker fascine même ceux qui ne le lisent pas

Il est posé, souvent négligemment, sur une table basse de salon ou un coin de bureau d’un intellectuel urbain. Avec sa typographie raffinée, ses caricatures minimalistes en noir et blanc, et ses longues colonnes de texte dense, The New Yorker dégage un prestige silencieux, presque intimidant. Et pourtant, nombreux sont ceux qui le connaissent… sans jamais l’avoir vraiment lu. D’où vient cette fascination pour un magazine que tant de gens feuillettent sans plonger dedans ?

Un objet culturel plus qu’un simple magazine

Fondé en 1925, The New Yorker s’est très vite imposé comme un monument de la culture américaine. Loin des unes criardes des tabloïds ou des rythmes effrénés de l’actualité numérique, il cultive une esthétique lente, exigeante, presque intemporelle. On ne lit pas The New Yorker pour « s’informer vite », on le lit pour « comprendre en profondeur ». C’est du moins ce qu’il laisse entendre.

Mais pour beaucoup, le magazine devient surtout un symbole culturel. Y être abonné, c’est appartenir à une élite intellectuelle perçue. L’afficher chez soi ou en parler dans une conversation, c’est signaler qu’on se tient à une certaine hauteur intellectuelle, qu’on valorise l’analyse, la littérature, l’humour fin. Le contenu devient presque secondaire, ce qui compte c’est l’aura.

Un style reconnaissable entre mille

Ce qui rend The New Yorker immédiatement identifiable, ce sont ses fameuses couvertures illustrées, souvent abstraites ou satiriques, et ses bandes dessinées sans punchline évidente. Pour certains, elles sont hilarantes ; pour d’autres, elles sont totalement hermétiques. Mais c’est précisément ce flou artistique qui les rend fascinantes : elles semblent destinées à un club privé, un cercle initié capable de « comprendre ». Vous trouverez toutes les affiches the New Yorker en vous rendant sur des sites spécialisés

Ajoutez à cela les longues enquêtes narratives, les critiques littéraires ciselées, et des nouvelles signées par les plus grands écrivains, de Vladimir Nabokov à Haruki Murakami et vous obtenez un cocktail intimidant, presque sacré. Lire The New Yorker, c’est se confronter à une densité intellectuelle que peu de publications osent encore revendiquer.

Le mythe de la difficulté

Si The New Yorker fascine, c’est aussi parce qu’il fait peur. Il est perçu comme un magazine « difficile », voire inaccessible. Il faut du temps, de la concentration, une certaine maîtrise de la langue anglaise, et souvent une culture générale bien garnie. En cela, il devient un objet de désir frustré : beaucoup aimeraient le lire vraiment, mais n’en ont ni le temps ni l’endurance.

Ce paradoxe, l’envie de faire partie du club sans forcément participer pleinement alimente un certain snobisme culturel. On s’en sert pour décorer une bibliothèque, pour ponctuer une conversation sur le journalisme, ou même pour alimenter un profil Tinder (« Je lis The New Yorker le dimanche matin avec mon café »). C’est un totem, autant qu’un média.

L’effet « New Yorker » dans la culture pop

L’influence de The New Yorker dépasse d’ailleurs largement ses pages. Il est régulièrement cité dans les films, les séries, les podcasts. Dans Sex and the City, Frasier, ou plus récemment Succession, il représente l’apogée du bon goût intellectuel. Être publié dans The New Yorker, pour un écrivain ou un dessinateur, est vu comme une consécration. C’est une forme d’adoubement.

Et paradoxalement, cette reconnaissance culturelle rejaillit sur ceux qui le mentionnent ou l’évoquent même sans l’avoir lu. Il devient une sorte de méta-marque culturelle, connue pour être connue, respectée pour être respectée.

Lire ou ne pas lire, là n’est pas la question

Alors pourquoi The New Yorker fascine-t-il même ceux qui ne le lisent pas ? Parce qu’il incarne une idée : celle d’un journalisme noble, d’une intelligence élégante, d’une époque où lire prenait du temps et du sens. Il n’a pas besoin d’être lu pour exercer son influence. Il suffit qu’il soit là sur une table, dans une conversation, dans l’imaginaire collectif pour continuer à faire rêver.

Et au fond, n’est-ce pas là sa plus grande réussite ?

La Rédaction

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